vendredi 23 décembre 2011

Kostia Konstantinoff, pilier de Radio Paris

Konstantinoff, pianiste et chef de l'orchestre de Paris, comptait parmi les demandes d'exemption de l'étoile jaune, formulées par le maréchal Pétain, sous le nom de Constantin Konstantinoff. (1)


Kostia Konstantinoff
Né à Odessa, le 15 juin 1903, Kostia Konstantinoff s'installe à Constantinople à l'âge de 18 ans où vivait déjà son frère ainé, puis à Berlin, avant de venir s'installer à Paris où il termina ses études tout en étant professeur de piano au conservatoire russe.
Accompagnateur de chanteurs russes et tziganes, il dirige les orchestrations des spectacles du théâtre populaire russe.
Ses œuvres seront exécutées en 1932 au festival de la musique russe, donné au Théâtre des Champs Elysées.
Konstantinoff est l'auteur de nombreux ballets sous le nom de Karol Konstantinoff.
Dessin Paul Colin
La revue L'Elite internationale à Paris de novembre 1933, lui consacre un article accompagné de son portrait, dessiné à la plume par Paul Colin (ci-contre). 
Il y est écrit que " ce jeune compositeur, au talent à la fois fort et plein de charme, appartient à la culture franco-allemande ; il continue la lignée des grands Russes et sa musique, tout en étant moderne, reste fidèlement attachée à la beauté des vieilles traditions. A son talent de composition, il joint celui de pianiste virtuose et de chef d'orchestre ".
A partir du 16 août 1940, il joue pour Radio Paris (2) et le 6 avril 1941, au Palais de Chaillot, il sera le soliste du Concerto n°1 de Tchaikovsky enregistré avec l’Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire, dirigé par Charles Münch.
Dans ce même enregistrement, il interprète en première audition le concerto pour piano de son ami Mitja Nikish.
Le 1er mars 1942, il interprète le Concerto en la de Liszt sous la direction de Gustave Cloëz.
Suite à l'introduction du port de l'étoile jaune en zone occupée, fin mai 1942, le maréchal Pétain formula plusieurs demandes d'exemption. 
Aussi, le 19 juin 1942, lors d'une réunion tenue à l'ambassade d'Allemagne, le nom de Constantin Konstantinoff est soumis aux autorités parmi d'autres demandes. Aucune décision ne sera prise...
Le compositeur, malgré les lois anti-juives de Vichy et les rafles allemandes, poursuit son activité professionnelle. 
Échappé de la rafle du Val d'Hiv, il se réfugie à Sully, près d'Orléans, dans le but de rejoindre l'Angleterre en Lysander, aidé par la résistance locale. L'avion ayant été abattu, il ne pourra partir et reste caché jusqu'à la Libération. Les américains, arrivés à Ouzouer-sur-Loire le prendront en charge.
En 1943, son opérette lyrique « Don Philippe » restera joué au Théâtre Pigalle et les représentations seront données jusqu'en 1944.
Véritable pilier de la programmation musicale de Radio Paris, sa carrière intriguait les autorités allemandes. En novembre 1943, Heintz Röthke, chef du service Juif à la SS de Paris, s'adressera au CGQJ pour en savoir plus sur l'appartenance raciale de cet " artiste étranger " devenu introuvable. (3)
Il lui est répondu le 22 décembre, que des recherches approfondies de la préfecture de police ont permis de découvrir qu'il avait un double état-civil et qu'il utilisait de faux papiers : une première carte d'identité avait été établie au nom de Schreiber-Fischmann. Sa véritable identité était Constantin Borissovitch Schraiber. (4)
Le directeur du statut des personnes du CGQJ précise qu'il pensait avoir affaire jusqu'alors à un orthodoxe alors qu'il le considère finalement comme juif.
A la Libération, son cas sera examiné par les commissions d'épuration, sans aucune sanction contre lui. (5)
Dès 1946, il reprendra sa carrière internationale avec des concerts à Londres, Vienne, Copenhague et outre-Atlantique, avec Charles Münch. Il comptait s'installer à New York mais il meurt dans un accident d’avion dans le Maryland, le 30 mai 1947, à 43 ans.

(1)  CDJC-XLIXa-91b Lettre et note, datées du 18 juin 1942, du SS-Sturmbannführer Herbert Hagen de la Sipo-SD de Paris, adressées au commandant de la Sipo-SD de Paris, suite à une réunion à l'ambassade d'Allemagne.
(2) Limor Yagil : " Au nom de l'art 1933-1945 - Exils, solidarités et engagements " (Fayard, 2015)
(3) CDJC-CXIII-32 Lettre du 5 novembre 1943 de Heinz Röthke, Obersturmführer, adressée au Commissariat général aux questions juives, au sujet de l’appartenance raciale de Constantin Konstantinoff.
(4) CDJC-XXXII-152a et 153 Lettre du 22 décembre 1943 du directeur du Statut des personnes et des Affaires juriques, à l’attention de Heinz Röthke, portant sur Constantin Konstantinoff ou Schreiber.
Note du 22 décembre 1943 de Louis Darquier de Pellepoix, commissaire général aux Questions juives, adressée au SS-Obersturmführer Röthke, au sujet de l’identité de Constantin Schreiber, dit " Konstantinoff ".
(5) Myriam Chimènes – Josette Alviset : " La vie musicale sous Vichy "  (Editions Complexe, 2001)
Yannick Simon : " Composer sous Vichy " (Editions Symétrie 2009)
AN-F21 8103, dossier n° 3

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